Les Black Keys, dont c’est déjà le quatrième album, avaient jusqu’ici une réputation relativement confidentielle. Cette dernière livraison, sur un label plus prestigieux (V2), devrait rendre justice au duo venu de l’Ohio. Il faut dire que la « Magic Potion » qu’ils nous concoctent a tout pour satisfaire l’amateur de rock’n’roll qui se respecte. Un minimalisme qui conserve l’essentiel, un gros son qui nous emmène droit à Memphis, une voix qui sait chanter le blues… Bref, tout ce que le rock a pu perdre à mesure qu’il gagnait en sophistication est ici scrupuleusement préservé et entretenu. Parions que la musique des Black Keys réjouirait un Nick Cohn, pour qui Dylan et les Beatles ont tué la vraie musique rock. La « potion » est donc tout sauf une innovation époustouflante, plutôt le bon vieux breuvage de John Lee Hooker et des studios Sun.
Est-ce que tout cela, dira-t-on, ne sent pas la nostalgie, voire le fétichisme régressif ? Impossible d’avoir ce sentiment à l’écoute de Magic Potion : l’authenticité est bien au rendez-vous, et la tradition n’est là que pour donner un support à une expression actuelle. On pense évidemment aux White Stripes, dont la formation instrumentale est exactement celle des Black Keys. Mais là où Jack White (sur scène du moins) évoque les hurlements d’un Little Richard, le chanteur-guitariste Dan Auerbach lorgne plus du côté de Gene Vincent ou Carl Perkins, voire carrément de la soul. Mais la comparaison s’avère plus cruelle lorsqu’il s’agit du songwriting, car les faux frère et sœur aux rayures rouges et noires ont ici une supériorité évidente, d’autant plus que leur éclectisme contraste avec la « formule » à laquelle les Black Keys se tiennent avec rigueur. Malgré tout, ce choix n’est sans doute pas moins respectable, et une telle comparaison a d’ailleurs sa part inévitable d’arbitraire ou d’injustice… Dans leurs plus beaux moments (“You’re The One”), les Keys sont capables d’évoquer Marc Bolan ou John Lennon, pour la recherche de l’épure et du retour aux sources qu’il a poursuivis tout au long de sa carrière solo.
Le problème est surtout que, malgré l’excellence vocale de son chanteur, l’émotion est rarement au rendez-vous du blues-rock des Black Keys. On reste loin, très loin, du choc qu’avait pu provoquer l’irruption d’une P.J. Harvey, aux références musicales comparables. Des chansons comme “Strange Desire” » ou “The Flame” parviennent toutefois à sortir du lot : leur rythme lancinant parvient à dégager une certaine poésie, sans doute également parce que la guitare s’y fait un peu plus discrète. Celle-ci, qui évoque volontiers Hendrix et Led Zeppelin, en profite pour leur emprunter de manière assez flagrante quelques riffs, au prix parfois d’une certaine lassitude. Mais l’originalité de la démarche des Keys est bien de nous épargner une énième imitation des hurlements de Robert Plant. A l’écoute de ce mélange qui ne perd jamais totalement sa saveur, on se prend d’ailleurs à déplorer tout ce que le rock a pu perdre en laissant les vociférations des hard-rockers préempter l’héritage du blues.
Pour le reste, les rabat-joie ne manqueront pas de bons arguments pour ramener les Black Keys à leur juste place. Mineur ? Certes. Un brin passéiste ? Sans aucun doute. Répétitif ? Assurément. Mais la potion des Keys est aussi simple et efficace que le rock’n’roll. Et ils ont tout juste ce qu’il faut de talent et d’énergie pour qu’on se laisse prendre à leur jeu.
(article écrit par Sheldrake, le 4 octobre 2006 pour pinkushion.com)